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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/134

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

façon, sont destinées à l’oubli. J’ai souvent pensé que je n’aurais supporté ni le régime des futurs officiers, ni celui des soldats ; mais ce sont des jeux d’imagination ; le régime de guerre, moins pénible à certains égards, il fallut bien le supporter. De même, quand on souffre dans son corps, il faut bien le supporter ; la nécessité ne mesure point nos forces, et se passe très bien de résignation. Ainsi s’explique la puérile doctrine des militaires, toujours à côté de la question.

Le lieutenant-colonel Subtil, polytechnicien,LES OPINIONS
DE L’ÉCOLE DE GUERRE.

Le lieutenant-colonel Subtil, polytechnicien, donnait à l’École Militaire la deuxième leçon de son cours de morale, en présence du général inspecteur. Quand on prend comme thème de pensée qu’il ne faut point trop penser, l’idée est fuyante et échappe presque toujours, surtout quand on en est à cet âge, et à ce grade, tous deux difficiles à porter. C’est l’âge ingrat. Mais le lieutenant-colonel professeur tenait son idée à la gorge. Protée avait pris d’abord toutes formes, lion, aigle, serpent, eau claire ; mais maintenant, tenu ferme, il disait tout ce qu’il savait.

« Quand vous êtes sur le point, disait-il, de sauter un fossé, l’idée que vous allez tomber dedans peut être vraie ou fausse ; mais toujours est-il qu’elle vous nuit, si vous tentez le saut. Elle ne peut être utile que si elle vous conseille de ne pas sauter. Supposons maintenant que vous deviez sauter de toute façon ; il est clair que vous devez penser que vous réussirez ; cette pensée même vous donne une chance de plus.

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