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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/154

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

c’est vouloir construire les nations d’après le modèle patriarcal. Le fils obéit au père il n’obéirait pas à un étranger « Et s’il me plaît, à moi, d’être battue » ; c’est la formule la plus parfaite de l’esprit national en tous pays. Fouetté, le citoyen veut bien l’être. Mais il regarde aux baguettes ; il veut savoir dans quel bois on les à coupées.

Cette idée mystique produit bientôt ses preuves. Car un pouvoir contesté devient aussitôt tyrannique ; on ne peut plus prononcer sur ce qu’il serait, bon, médiocre ou mauvais, s’il s’exerçait simplement ; il s’établit, il se défend, il soupçonne. Dans ces luttes, le droit périt ; les révoltés ont toujours raison ; ils sont toujours tyranniquement gouvernés. À bien meilleur compte, et par la centième partie seulement de l’énergie qu’ils emploient à chasser un mauvais maître, ils le rendraient bon. Comte, homme d’avant-garde, aperçoit que les discussions sur l’origine et la légitimité des pouvoirs sont métaphysiques, et que la fonction positive du citoyen est plutôt de surveiller et limiter l’action des pouvoirs, quels qu’ils soient.

Le faible des démocraties est qu’elles déposent trop aisément leurs rois éphémères. Cette puissance purement négative ne résout rien, d’autant que comme il n’y a pas tant d’hommes qui sachent le métier de roi, tant bien que mal, nous voyons toujours revenir les mêmes rois ; et les chutes font noblesse et force, comme aux récidivistes ces innombrables condamnations, qui désarment le juge. Le citoyen n’a pas encore bien saisi cette idée que tout pouvoir est mauvais, s’il n’est surveillé, mais que tout pouvoir est bon, autant qu’il sent une résistance pacifique, clairvoyante et obstinée. La liberté n’est

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