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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/161

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

louis d’or dans un pot ; je ne suis pas si bête. Mais tout ce que je gagne va à l’engrais, aux plantations, aux défrichages. Ce sont des choses qu’on ne peut prendre. D’argent, je suis pauvre. Je veux bien produire, mais je ne puis payer. Le sultan ne va pas arracher mes arbres ; qu’en ferait-il ? Non plus me prendre ma semence. Non plus m’enfermer, moi qui travaille pour lui et pour tous. Bref je paie le moins possible, et c’est autant de sauvé, pour moi, pour lui, pour tous.

« Mais si l’État c’est moi, alors il faut que je paie ma part de toutes ces dettes-là. C’est notre coutume par ici de payer ce qu’on doit, quand on devrait se faire garçon de ferme. Mais quoi ? Je ne vois pas de limites. Tous ces beaux messieurs disent que nous sommes pauvres, et dépensent comme des riches. On dit que le chemin de fer perd sur le travail qu’il fait. Mais regardez le travail des ingénieurs ; on le voit d’ici. Ils changent les rails et les traverses ; ils vont faire rouler des trains électriques, afin que tous les paresseux et les ennuyés voyagent encore plus vite. Tout va de même, si j’en crois les journaux. Ici même je vois passer leurs avions à voyageurs, qui transportent aussi des colifichets. Oui, on envoie une robe de bal de Paris à Londres par la voie des airs. Et quoique chacun paie pour son colis ou pour sa place, chaque voyage nous coûte encore plusieurs billets de mille francs. Ne parlons pas de leur guerre ; on se perd dans ces dépenses-là. Mais souvent une petite chose fait juger des grandes. Mon fils, qui était artilleur, a vu tirer quatre mille obus par jour dans un secteur de deux kilomètres, pour faire diversion. Chaque obus coûtait quatre-vingts francs. Ces mêmes

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