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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/175

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RÉPARER LES RÉPARATIONS

Dreyfus, je remarquais un contraste entre les hommes d’action, capitaines ou colonels, qui, par le contact avec les hommes et les choses, essayaient quelquefois de ne pas déraisonner, et les femmes de la même société, jusqu’aux jeunes filles, qui faisaient voir un fanatisme sans nuances. Quand les hommes faibles, et portés au pouvoir par le seul art de répéter, traduisent dans leurs décisions, si l’on peut ainsi dire, ces idées extravagantes, formées au niveau du diaphragme, il en résulte les plus redoutables convulsions de la force sans tête, jointes à des doctrines politiques tout à fait ridicules.

J’avais parié, dès l’armistice, que le régime tzariste ne survivrait pas à la guerre, et que le bavardage de guerre serait détrôné aussitôt par les soldats revenus. Je perdis mon pari ; et il me fut dit, de plus, que je n’entendais rien à la politique, et que les soldats étaient crédules aussi bien que les civils. Le fait est que la Chambre nouvellement élue reprenait en chœur les refrains connus ; et notre tzar, indécis à la fois et inspiré, ne prenait le parti d’une retraite volontaire qu’avec l’espoir d’un brillant retour. On voyait reparaître les raisonnements creux et les opinions conformes aux désirs. L’esprit de guerre renaissait, et la guerre même allait suivre. La politique retournait en ses anciens chemins. Mais il s’est fait pourtant, le grand changement que j’attendais ; avec frottements et retards, comme il arrive en ces situations enchevêtrées. L’opinion, qui n’avait pas su faire une Chambre, se manifestait pourtant de mille manières ; et le pilote, quoi qu’on puisse penser de lui, n’est pas un homme faible ni crédule, ni disposé à prendre pour vrai ce qui est agréable ; mais explorant et

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