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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/206

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

Sans aller jusqu’à cette conclusion, que beaucoup jugeront forcée, on doit décider qu’à mesure que nous perfectionnons nos machines, la troupe des hommes invisibles qui les font mouvoir augmente par rapport à l’effet utile. Et comme l’homme n’est payé de son travail que par les effets, il faut dire que le travail humain est de moins en moins rémunéré. Voilà la vie chère saisie en sa cause principale, et peut-être en son unique cause.


Tolstoï, à soixante ans passés, prit un LES MACHINES
CHANGENT L’HOMME.

Tolstoï, à soixante ans passés, prit un goût très vif pour la bicyclette ; mais son ami Popoff n’était pas bien sûr que ce goût fût conforme à la morale ; il entendait que ce plaisir était un plaisir de riche. On peut considérer la chose autrement. Qu’il y ait des riches et des pauvres, ce n’est pas le plus grand mal, à mon avis. Aux temps heureux de la paix, et en dépit des charges que la peur imposait à tous, la misère n’était pas loin d’être vaincue. Mais, par une faiblesse d’esprit commune aux riches et aux pauvres, tous se trouvèrent réduits à un dur esclavage, et les plus jeunes massacrés. Or ces générations de nigauds héroïques grandirent sous la double loi de la bicyclette et du kodak. Ces dieux mécaniques n’ont point arrêté le progrès des lumières ; et même l’attention portée aux mécaniques a mis du positif dans les esprits les plus frivoles ; car il y a à peine de chute si l’on ne forme pas une claire idée des roulements et des engrenages ; il y a déception et humiliation si l’on n’est pas formé aux manipulations chimiques. Toutefois, en opposition à nos touristes

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