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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/232

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

tous à se servir du téléphone, il n’y aurait rien de changé dans la production et la circulation des biens. Le téléphone y ajoute seulement un peu de bruit et une impatience qui ne fait rien. Aujourd’hui comme autrefois, le fabricant de draps transporte son paquet d’échantillons de maison en maison et de ville en ville. S’il ne le fait lui-même, il le fait faire par un homme qui connaît la fabrication, les matières, les teintures, l’apprêt aussi bien que lui-même. Toute conversation est inutile si la main ne peut toucher et palper, si l’œil ne peut suivre les jeux de la lumière sur les plis de l’étoffe. Ce qui ne va jamais sans un vain bruit de paroles, où paraissent de vagues rumeurs sur la politique et les affaires, sans oublier les politesses et les anecdotes ; mais la chose présente ramène bientôt ces pensées errantes.

On devrait appeler téléphonique un genre de conversation sur les choses, où les choses manquent, et aussi le visage humain, qui soutient la parole. L’écran cinématographique est un abstrait où la parole manque ; le téléphone est un autre abstrait, qui ne pose pas non plus la pensée. Il y a presque toujours un peu d’égarement, une attention vide, un étonnement joué dans un homme qui téléphone. Comme il se forme une mimique pour l’écran, ainsi il se forme une éloquence téléphonique. Mais ce sont des effets esthétiques. Comptons plutôt la dépense.

Journées de travail, depuis la mine de cuivre jusqu’à l’usine où l’on ajuste ces enroulements et ces contacts mobiles qui transforment les mouvements de la voix en variations de résistance et par suite en variations de débit. C’est comme si les chocs de la parole ouvraient et fermaient plus ou moins un robi-

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