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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/233

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LES CIVILISATIONS

net très sensible ; les chocs de l’eau porteraient les mouvements de la voix d’un bout à l’autre des tuyaux. Mais il faut retourner jusqu’à la mine de zinc ; car tant que vous parlez dans un téléphone, la pile débite à court-circuit ou peu s’en faut ; et vous, par votre parole, vous troublez ce débit, vous lui imprimez des variations fortes ou faibles qui se répercutent aussitôt dans un fil plus long et plus fin, voisin du premier. Dans ce transformateur se développent des courants de haut voltage qui sont à l’image du courant varié de la pile et qui franchissent les kilomètres. Ajoutez que votre pile est de rendement très faible et s’use même sans travailler. Au reste on peut téléphoner sans aucun fil ; c’est encore plus étonnant et plus élégant ; mais l’énergie dépensée dépasse de bien loin ce que peut fournir une pile.

Tous ces travaux dévorés se retrouvent-ils ? La paresse certainement y trouve son compte. La cuisinière appelle les croissants au lieu d’aller les chercher ; c’est le mitron qui les apporte ; et n’oublions pas ces coups de marteau et de lime, innombrables, qui transportent seulement un ordre, sans transporter autre chose. Mais tout le monde sait pourquoi le boulanger, le boucher, le crémier sont abonnés au téléphone ; c’est qu’ils craignent de subir un grand dommage, s’ils ne l’ont point. On voit comment l’offre force la demande, et comment nous sommes prodigues sans le vouloir. D’où vient que le salaire réel, qui n’est qu’une part des produits, baisse inévitablement. Mais cette grande usine n’a point de comptable.

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