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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

Paris, il suffirait d’un millier d’escouades pour fouiller toutes les maisons, et en fort peu de temps. Y pensez-vous ? Réveiller les gens, violer les domiciles, retenir pendant quelques heures deux ou trois cents suspects ? Que faites-vous des droits de l’homme et du citoyen ? Et du reste l’argent manque pour cela, et les hommes. Mais enlevez les jeunes gens à leur foyer, conduisez-les à la misère, à la terreur, à la mort. En même temps jetez l’argent ; brûlez l’argent. Tirez quatre mille coups de canons par nuit sur un secteur de deux kilomètres, simplement pour tenir l’ennemi en alerte ; un coup de canon coûte quatre-vingts francs ; faites le compte. Toutes ces folies semblent naturelles dès qu’un homme est menacé d’obéir à la loi de Berlin au lieu d’obéir à celle de Paris. La loi est d’ailleurs la même dans les deux pays, et elle s’accorde avec cette probité naturelle que l’homme du commun suit scrupuleusement par libre préférence. Mais cette seule remarque est inconvenante ; il se forme des ligues pour assommer ceux qui osent la faire publiquement ; non point des ligues contre les assassins. Et cela, tout considéré, est assez beau. N’importe quel homme se soucie plus des opinions auxquelles il s’est attaché par serment que de sa propre vie. Pensant, il l’est bien ; il l’est de tout son cœur. Menacez-le d’un revolver, il demande seulement que la police soit un peu plus éveillée. Mais menacez-le d’un argument, le voilà prêt à faire lui-même sa propre police. Preuve qu’il y a sommeil et sommeil.

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