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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/71

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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

Le comte Mosca, dit à peu près Stendhal, se moquait de son princeON MEURT POUR SON
HONNEUR
NON POUR LA PATRIE.

Le comte Mosca, dit à peu près Stendhal, se moquait de son prince et de sa propre police ; il pensait principalement au bonheur du comte Mosca. « Mais il avait de l’honneur ». Entendez qu’il n’aimait point céder à la peur, et qu’il aurait sacrifié toutes ses places plutôt que de trahir le secret d’un ami. Les personnages de Stendhal sont réels, parce qu’ils sont d’une certaine manière en solitude. Ce qui leur reste de vertu est d’or pur sans aucun mélange. Fabrice à Waterloo ne cherche nullement à étonner les autres ; il ne pense qu’à dompter cette peur qui lui monte des entrailles ; et encore est-il en doute si cette peur était la vrai peur, et si cette bataille était une vraie bataille. Le plaisant c’est que ce jeune homme, qui est catholique sans l’ombre d’un doute, ne pense point du tout au ciel ni à l’enfer pendant qu’il galope. Son Dieu le laisse seul et sa patrie de même. C’est un homme qui éprouve sa propre volonté.

Nos moralistes d’État voudraient faire croire que l’on meurt pour la Patrie. Mais ce genre de vertu nous est extérieur ; aussi comme le déclamateur se laisse aisément persuader ! Comme il consent à servir sa patrie par la plume ou par la parole, je dirais presque que le culte extérieur l’a délivré de sa propre vertu ; le commun usage l’absout ; la règle extérieure apaise cette conscience ombrageuse. Pour moi j’ai connu d’autres héros, aux yeux de qui la Grande Guerre était comme le Waterloo de Fabrice, une épreuve qu’un homme ne peut entendre conter sans

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