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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/91

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LES HYPOCRISIES DE LA GUERRE

chefs ; non point une volonté, mais une effrayante machine ; non point l’hésitation, la pitié, ni plus tard les remords. Ce genre d’oppression est moderne ; les anciens ne s’en faisaient aucune idée, pas plus que des chemins de fer. J’eus plus d’une fois l’occasion de remarquer par la suite la puissance de cette organisation mécanique, qui pousse les hommes comme des wagons. Mais le même caractère pouvait être saisi dès le commencement. Ce tyran sans visage ne laisse jamais aucune espérance ; aussi n’y eut-il point de discours, mais chacun alla graisser ses bottes.

Qui donc décide des armements ? Qui des effectifs ? Qui des alliances ? Qui de l’interprétation des alliances ? Toujours un cercle d’hommes compétents, où chacun cherche la pensée des autres, ou bien des hommes qui pensent sur circulaires et instructions, ou bien des hommes polis qui mettent des lieux communs en discours. Raisonnement toujours, non jugement. Au sommet, car il y a un sommet, toutes les idées ensemble, et équivalentes ; la paix souhaitée, la guerre préparée ; la paix si on peut, la guerre si l’on ne peut faire autrement. Nulle préférence avouée ; nulle préférence cachée. Gouverner, c’est suivre les nécessités et s’en remettre aux compétences. Chaque homme, dans ce système, est un bon homme qui fait son métier ; ou plutôt chacun fait une partie du métier. On assemble les pièces comme on fait une addition ; on dit : « c’est la guerre ». Chaque homme devant ce résultat réagit à sa manière, mais le Système ne réagit nullement. La guerre arrive comme la pluie. Allez-vous accuser le baromètre ?

J’accuse le baromètre. J’accuse un homme qui,

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