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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/108

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aimer comme on voudrait, et d’après la connaissance des perfections, ainsi on n’arrive pas à avoir peur par la seule idée qu’on le devrait. Il se peut même que la vraie peur soit toujours distincte des raisons que l’on s’en donne, à ce point qu’il n’y ait qu’une manière d’incorporer la peur à la crainte, qui est de surmonter la peur ; en sorte que dans la passion de crainte paraisse déjà le courage. Cette vue sur les passions, seulement rappelée, importe beaucoup dans ce sujet-ci. Une fillette qui se trouvait seule pour un moment, et coupant les voies d’une chasse, vit le loup, sans aucune peur ; et, au rebours, la peur sans aucun loup fait un monstre qu’on ne peut même décrire, et qui n’est rien. On m’a conté qu’un naturaliste, au Siam, vit dans une clairière un gros chat bondissant ; c’était un tigre ; et sans doute eut-il peur par réflexion, et au récit qu’il se fit, ou qu’il fit, de sa propre aventure. Et c’est ce qui arrive