Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/45

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s’ils étaient maîtres ou esclaves, dura fort longtemps, de façon que la coutume de demander, d’espérer, de compter sur plus fort que soi laissa dans la nature humaine des traces ineffaçables. Et c’est pourquoi nous voyons maintenant, quoiqu’il n’y ait plus trace ni apparence de tels géants, que les hommes les cherchent partout et croient toujours qu’ils vont les voir de nouveau, et souvent les appellent, sans qu’on puisse savoir s’ils regrettent, ou espèrent, ou craignent cet état de dépendance dont ils ont dû s’arranger autrefois, et qu’ils ont peut-être aimé. Car comment ne pas aimer celui dont on attend tout ? Comment aussi ne pas aimer celui dont on peut tout craindre, dès qu’il ne nous fait pas tout le mal possible ? D’autre côté, comment ne pas craindre un peu et même beaucoup celui qui nous sert seulement parce que cela lui plaît ? C’est pourquoi, comme s’ils attendaient le retour des géants, les hommes ne manquent pas volontiers