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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/46

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à prier et à offrir, quoique nul géant jamais ne se montre, et remercient à tout hasard quelqu’un lorsque leur filet prend le poisson ou lorsque leur flèche touche le cerf au bon endroit. L’ombre de Socrate ajoutait encore nombre de détails qu’il tenait, disait-il, de cette très vieille nourrice ; très appliqué, à ce qu’il me semblait, à donner comme sérieuse et vraie cette histoire incroyable. C’est, j’imagine, qu’il estimait plus incroyable encore que les hommes fissent voir ces étranges coutumes, si quelque expérience réelle ne les avait pas d’abord formées.

Une idée est une fiction ; et de longues épreuves font connaître qu’on ne perçoit jamais que par une idée ; le fait tout nu, surtout s’il est ordinaire, est comme usé d’avance, et en tout cas terminé à lui. Qui donc a assez pesé le mot de Descartes : “Comme nous avons été enfants avant d’être hommes” ? On le sait bien ; on le sait trop, au lieu qu’une fiction a besoin de