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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/47

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nous, et n’est rien sans nous. C’est pourquoi j’ai voulu suivre cette fiction des géants, quoique le lecteur eût bien compris à la troisième ligne où je voulais le conduire. Cet art ingénu de retarder le jugement, je l’ai pris aux fabulistes, je l’ai pris à Platon. Si je les imite bien ou mal, il n’importe guère ; ce qui importe, c’est que l’idée soit formée et non pas donnée. Dans ce qui n’est pas encore chose, les liaisons sont tout ; l’esprit les cherche et les soutient. Sans compter que ma fable est comme toutes les fables, et comme tout l’imaginaire ; elle n’a rien du tout d’imaginaire. Très exactement notre condition à tous est d’être d’abord portés à bras et servis. Ainsi notre première expérience, qui certes est vraie, nous trompe pourtant sur toutes choses ; et ainsi nous abordons l’expérience virile à travers des idées d’enfant, qui sont toutes fausses. Ce qu’ont négligé tant d’hommes qui savaient pourtant bien ce que c’est qu’être enfant. Je