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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/100

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XXVIII

L’AMOUR EXIGEANT

L’amour tyrannise plus que la haine. Car la haine vous veut petit ; la haine vous refuse l’existence ; aussi la haine permet tout ce qui diminue, ignorance, frivolité, paresse. L’envie loue les fautes ; l’envie célèbre une manière de vivre qui est sans effort, et dans laquelle nous tombons par notre propre poids. La haine est misanthropique ; elle répand la tristesse sur tous et sur elle-même ; elle défait et se défait. Au fond, elle ne croit pas plus en elle-même qu’en n’importe quoi. Aussi n’a-t-elle rien fait jamais, que par l’exemple, par l’entraînement, par user le temps et les courages.

L’amour veut sauver ce qu’il aime ; il le veut grand ; il ne lui pardonne aucune vanité ni petitesse. Un père ne comprend pas que son fils soit enfant. Oublieux et négligent, le père le fut, et se le pardonne ; mais il délègue à son fils de s’élever plus haut ; non pas de recommencer son père, mais de le continuer, chose qui n’est point selon la nature ; car il faut que chacun soit enfant d’abord, et dissipe des richesses. Toutefois pour comprendre cela même il faut une certaine indifférence. Celui qui aime ne pardonne guère. C’est pourquoi l’on voit que les enfants s’enfuient vers ceux de leur âge, et refusent de faire

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