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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/101

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L’AMOUR EXIGEANT

société avec leurs parents. C’est dire qu’ils ne se confient pas à eux ni ne se confessent, étant assurés de n’en être pas compris. Ce qui n’empêche pas une amour profonde et à toute épreuve, mais qui ne se marque que dans les petites choses. En revanche j’ai entendu quelquefois des invectives, dès que le père se mêle d’enseigner ce qu’il sait. C’est qu’il place toutes ses espérances et toutes ses ambitions sur ce fils encore bien léger et frivole ; et le garçon, de son côté, ne peut pas s’habituer à être aimé de cette rude manière, qui demande toujours trop. Ce rôle de dur compagnon convient plutôt au maître d’école, qui connaît le métier et qui n’attend point tant, et qui du reste est payé, succès ou non.

Tous les amours s’irritent de se voir mal compris. On connaît les querelles d’amoureux. La moindre faute de l’autre est une injure pour celui qui aime. Non pas qu’il se trouve lésé comme serait un propriétaire ; ce n’est pas si simple. Non. L’amoureux se trouve lésé en son amour même, qui est menacé et diminué par l’indignité de l’autre. Cette déception ne manque guère de suivre un trop beau départ. Et l’on comprend que l’autre craigne d’être aimé ainsi de trop haut ; et, comme il veut avertir, et se donner seulement pour ce qu’il croit être, cela est pris pour insulte calculée, et d’ailleurs parfaitement incompréhensible. Les colères font feu à chaque fois contre cet obstacle. Ces guerres de deux modesties peuvent aller fort loin.

Au fond, la haine n’est guère active ; et souvent elle conclut une sorte d’amitié louche, pourvu qu’on

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