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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/109

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LE MAÎTRE DE CHAPELLE

dont la principale vertu est la sévérité. La fillette grandit, et s’élève jusqu’au cours de piano de son quartier, où elle exécute de temps en temps, en dix minutes, un morceau qu’elle a répété pendant huit jours. Quelquefois elle est admise à jouer devant le maître éminent ; c’est pendant un mois, alors, avant ce jour redouté, qu’elle oublie la nourriture et le sommeil pour refaire dans sa tête et sur le clavier la même suite de notes. Sans ces préparations, elle ne peut comprendre ce que le maître éminent daignera lui dire. Après dix ans de cette sévère discipline, elle en est encore aux éléments ; mais enfin elle peut aborder selon ses goûts le Conservatoire, où l’on devient brillant, la Schola, où l’on devient modeste, ou telle autre école selon ses goûts et selon les moyens de transports. Chacune a ses dieux et ses prêtres ; cependant on retrouve en toutes le travail redoublé, les exercices monotones, les épreuves redoutables et redoutées. Si cette pianiste devient seulement passable, je pourrai lui dire, sans risquer de me tromper : « Tu sais vouloir ». La musique forme plus de caractères et sauve plus d’existences que ne fait la sagesse.

La musique détourne ; la musique console ; seulement elle reste à côté. Si l’on savait se mettre à penser, seulement à revoir ses pensées, comme on se met au piano, les maux humains reculeraient. Mais où sont ici les touches ? Où la méthode ? Même les maîtres, sur ce clavier-là, m’ont fait souvent penser à ces barbares qui n’ont point appris la musique, qui voudraient l’aimer, et qui jouent d’un seul

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