Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXXI

LA COMÉDIE DE L’INDIGNATION

Il y a toujours quelque chose de faux dans la haine comme dans la fureur ; je veux dire quelque chose que l’on décrète, que l’on excite, que l’on appelle au secours. C’est que le jugement tout seul est impitoyable, comme on voit bien lorsque l’homme le plus ordinaire décide impartialement sur le droit d’un autre. Tout homme est bon arbitre, s’il est arbitre. Et je ne suis pas de cette opinion que la plupart des hommes ne pensent guère ; je vois au contraire qu’ils pensent beaucoup, qu’ils se fient aux faits, aux comparaisons, aux raisonnements ; qu’ils ont des ruses étonnantes dans le marchandage ; qu’ils connaissent le fort et le faible du maître comme du valet ; et qu’enfin ils savent très bien comment il faut parler aux uns et aux autres. Ils le savent ; cela les fait juges et justes ; mais, en leur propre cause, c’est ce qu’ils n’aiment point.

L’ambiguïté des droits résulte de cette mobilité admirable de l’esprit, qui fait l’avocat, et toujours plaide contre soi ; car il n’y a point d’autre manière d’éprouver une opinion. Aussi toutes les querelles, toutes les contestations, tous les procès, iraient à une conciliation, à une solution moyenne, à la paix. Mais quand on est juge de soi, quand on se nomme

— 107 —