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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/129

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LE VRAI DE L’HOMME

plus de grimaces sur la vivante statue ; mais la grimace n’est point l’homme ; autrement il faudrait dire qu’il ne fait que mourir. Le même Spinoza a écrit que nul n’est détruit que par des causes à lui étrangères. Seulement, comme tout être est en lutte et péril, c’est à nous de démêler à travers ces apparences, le vrai visage, et disons l’âme, que Spinoza définit comme l’idée du corps. Je trace un peu cet aride chemin, mais non sans récompense, à l’usage de ceux que trop de pensée a brouillés avec les hommes et avec eux-mêmes aussi. Il s’agit de passer au delà ; et je dis seulement, comme à l’athlète : « Nul ne sautera pour toi ».

Or, je remarquais, ces jours, que les hommes savent bien se jeter à l’admiration, dès qu’ils le peuvent. Ils vont là tout droit, comme à un air respirable. Ils composent leur grand homme ; ils le portent à bras. Tant qu’il est vivant, et surtout si on le voit de près, c’est difficile, par toutes les grimaces étrangères qui le recouvrent. Mais quand il est mort, la légende se fait et se moque de l’histoire. Où est le vrai ? J’ai voulu bien entendre qu’il faut s’aider de soi en cette recherche. Car il y a le vrai des choses, qui diminue l’homme ; mais le vrai des choses n’est pas le vrai de l’homme ; et le vrai de l’homme, il faut le porter à bras.

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