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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/130

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XXXVII

LES QUATRE VERTUS

Le mot vertu a d’abord ceci pour lui qu’il enferme une admirable ambiguïté, même dans son usage ordinaire. Tout le monde comprend ce que c’est que la vertu d’une plante ; c’est une efficacité qui est attachée à la plante, qui ne trompe jamais, qui ne manque jamais, qu’on est sûr d’y trouver. Vertu, de quelque façon qu’on l’entende, est toujours puissance. Et, d’un autre côté, vertu c’est toujours renoncement. Cette contradiction accable les esprits sans courage ; tout au contraire, elle doit piquer, éveiller, provoquer, quand ce ne serait même que pour le bon style. Vertu n’est assurément pas renoncement par impuissance, mais plutôt renoncement par puissance. Si je suis trop peureux ou trop timide pour faire l’escroc, ce n’est pas vertu. Si je suis courageux par folle colère, ce n’est point vertu. Si je suis résigné par lâcheté, ce n’est point vertu. Ce qui est vertu c’est pouvoir de soi et sur soi. Personne n’est fier de se laisser aller à d’inutiles récriminations ; personne n’est fier de ne savoir plus ce qu’il dit ; personne n’est fier de tirer la langue devant le plaisir, comme on voit les chiens à la porte du boucher ; nul ne se vante de régler ses opinions sur l’argent qu’il gagne ; nul n’aime flatter son maître. Dire ce qu’on

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