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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/131

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LES QUATRE VERTUS

pense, et d’abord examiner ce qu’on pense et ce qu’on dit, dans des circonstances où l’on sait qu’on y perdra, c’est vertu.

Les anciens enseignaient quatre vertus ; c’est dire qu’ils apercevaient quatre ennemis de la possession de soi. Le plus redoutable c’est la peur, car elle fausse les actions et les pensées. Le courage est le premier aspect de la vertu, le plus honoré ; si la justice se présentait toujours sous l’apparence du courage, il y aurait plus de justice. Être juste en bravant quelqu’un c’est plus facile que d’être juste de soi à soi. Et d’où vient cette ardeur au courage ? Peut-être de ce que la preuve du courage n’est point objet de dispute. Il s’agit de faire une action dangereuse, et sans se laisser défaire d’aucune manière, soit par hésitation, soit par précipitation. Cela se connaît au visage, aux mains, à la voix. Aussi a-t-il été admis, pendant des siècles d’hommes, que n’importe quel homme pouvait être requis de fournir la preuve du courage, et que nul n’était estimé qu’à cette condition. Les duels et provocations sont un peu oubliés ; non pas tout à fait ; mais la preuve du courage règne toujours sur les hommes ; l’invitation à la guerre est difficile à refuser, et par ces causes.

L’autre ennemi de l’homme c’est le plaisir ; ainsi la tempérance est la sœur du courage. Sœur moins honorée. Et pourquoi ? C’est que la tempérance, qui va toujours à refuser, peut venir de ne point désirer assez, ou encore de craindre trop les suites ; ce n’est point puissance ; ce n’est point

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