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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/157

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FAIRE LE SOURD

raison les signes de l’esprit se trouvent joints au visage, au son de la voix, aux éclairs du regard. Aussi on dit très exactement que c’est le trait d’esprit qui blesse ; entendez que, dans le refus même de comprendre, ce qui offense c’est la preuve, au moins d’apparence, lancée en même temps, d’un esprit qui n’est ni borné ni engourdi. Souvent dans ces bûches parlantes, qui se mettent en travers devant nos départs et nos espoirs, nous découvrons tout à coup une perspicacité étonnante, une pointe de finesse, un éclair qui fait soudain paraître un rapport d’égal à égal, qu’il nous plaisait d’oublier. C’est ainsi qu’un enfant, qui semblait tout à fait imperméable, trouve quelquefois le chemin de nous piquer au vif. Moins on se prépare, moins on attend, et mieux l’on est touché. Cela conduirait à des réflexions consolantes. C’est toujours profit si l’on découvre qu’un homme est moins sot qu’on ne croyait. Mais admirez comme le jugement nous donne les verges ; aussitôt l’on rougit de ne pouvoir persuader ce semblable que l’on découvre. Marc-Aurèle voyait loin lorsqu’il écrivait, parlant à lui-même : « Instruis-les, si tu peux ; si tu ne peux, supporte-les ».

Je disais bien que le jugement ne peut rien contre l’humiliation ; et aussitôt je l’oublie. Que faire donc ? D’abord bien savoir cela même, et ne point chercher d’arguments ; c’est faire le sourd. Encore moins chercher des arguments à part soi ; encore moins chercher la victorieuse réponse dans le temps où on ne peut plus répondre. L’adversaire réel est diffi-

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