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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/158

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

cile à persuader ; mais comment persuader l’adversaire qu’on imagine ? Celui-là lance et relance la même flèche. La vraie défense, sans doute, est au-dessous de la pensée. Elle est dans l’attitude. Notre ennemi, c’est ce guerrier en nous qui se prépare, qui s’élance, et qui se retient. Il faudrait, au contraire, s’assouplir et s’étirer ; cette gymnastique secrète doit s’accorder avec la politesse ; je crois même que la vraie politesse y conduit ; car elle se trouve principalement dans une sorte d’indifférence musculaire que l’on nomme aisance. Ne rien marquer, ne rien signifier, cela prépare à n’entendre guère, et c’est ce que j’appelle faire le sourd ; car ce n’est point l’oreille qui entend, c’est le sursaut qui entend, c’est la riposte qui entend. Disons encore mieux ; c’est le cœur, ce moteur infatigable, c’est le cœur qui entend. Or, si le cœur s’en mêle, c’est qu’il y a raideur et attente, animation et commencement d’émeute dans le troupeau des muscles. Donc, à cette société qui n’est pas amitié, prêter son être comme un vêtement pendu, dans lequel il n’y a personne.

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