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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/167

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XLVIII

L’OPTIMISME COMME RÈGLE

Inquiétude et obsession viennent d’avoir trop d’esprit ; c’est le mal humain, même des sots. Il est clair que les animaux n’ont point cette manière de ruminer, qui consiste à penser qu’on pense, et à loucher, pour ainsi dire, en dedans. Au contraire l’homme ne peut s’empêcher de penser, et souvent pour son propre supplice. Un spectacle horrible il le revoit en souvenir ; il le repasse en détail ; il n’en oublie rien. Ou bien il suppose et imagine le pire, par une sorte de pressentiment qu’il veut croire. Ou bien il se répète quelque mot qui l’a piqué au vif. Enfin il pense noir. Beaucoup auraient besoin d’un art d’oublier et d’une insouciance étudiée.

Mais, l’attention, ainsi appliquée, semble aller contre sa fin. Comment bannir une pensée ? C’est toujours l’avoir. Et la faute commune c’est d’engager la lutte contre une pensée dont on veut se délivrer. On argumente contre soi ; on se prouve qu’on ne devrait pas regarder par là ; c’est y regarder. Toutes les passions y sont prises. Le théâtre et le roman offrent des exemples de cette délibération qui ne finit point, qui n’avance point. L’insomnie est un cas remarquable de cette pensée qui tourne en cercle. Quelquefois même un rêve désagréable

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