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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/206

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

est qu’il faut augmenter la dose pour obtenir l’effet désiré. Mais le pire, à ce que je crois, c’est qu’on fuit alors devant ses pensées, ce qui leur donne puissance.

Il faut donc s’exercer directement à penser comme l’on veut, à quoi l’on veut, quand on veut, en effaçant les pensées de traverse. C’est la même chose que de se mettre au travail sans se laisser détourner ; mais le travail a la puissante ressource de certains objets, une lettre, un compte, un plan. Au lieu que l’action que je vise maintenant s’exerce dans le vide de la pensée. On ne sait à quoi se prendre. Communément, quand nous avons quelque souci bourdonnant, nous ne savons qu’y penser pour n’y pas penser. Toutes les passions se roulent ainsi sur quelque épine, avec l’espoir de l’user. Il faudrait pouvoir éteindre les pensées importunes comme on éteint la lampe. C’est dormir à volonté, et c’est la grande force. Je crois que ce n’est pas impossible. Il s’agit de rompre cette pensée, de refuser de la former ; et si l’instant d’après on est revenu à la pensée douloureuse, il faut recommencer l’exorcisme ; il faut refuser encore de penser ; ceux qui essaieront plusieurs fois seront surpris par réflexion d’avoir réussi.

Toutefois la principale condition du succès, comme en toutes les actions, c’est de croire qu’on peut. Le problème du fatalisme occupe toutes nos avenues. Il n’est presque point d’homme qui ne pense dix fois par jour à un destin plus fort que lui. Et le plus proche fatalisme est celui qui nous livre sans défense à nos propres pensées. Toute arme est bonne. Mais ici je conseille premièrement la preuve par le fait.

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