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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/207

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ÊTRE MAÎTRE DE SES PENSÉES

Il s’agit de s’habituer à penser volontairement. Tel est, je pense, le principal usage des mathématiques contemplatives, celles qui remontent à la preuve au lieu d’appliquer aveuglément la règle. Il est clair que, si je repasse en mon esprit le calcul d’un logarithme, ou bien les circonstances du binôme, je ne découvre rien de neuf et en ce sens je ne fais rien d’utile. Seulement j’ai remarqué que ces revisions, assez difficiles à suivre quand on ne s’aide pas de la plume, rétablissent aussitôt la santé de l’esprit, en faisant constater que l’on peut choisir ses pensées, et même s’intéresser volontairement aux plus ennuyeuses.

J’insiste sur cet usage de la preuve. Par exemple, quand vous multipliez par , vous appliquez la règle que moins par moins donne plus ; et vous avez raison, cette règle ne fait point doute. Si maintenant vous voulez reprendre votre esprit en main, il est bon au contraire que vous examiniez pourquoi est un résultat par excès ; pourquoi il en faudra retrancher et  ; mais aussi en quoi ce retranchement est excessif, et qu’il faudra ajouter , qui a été retranché en trop. Cet exemple m’a servi et me sert encore ; mais n’importe quelle preuve est bonne à revoir ; non que ce soit une revue de vérités ; c’est bien plutôt une revue et un essai de notre pouvoir.

Après que vous aurez fait cette épreuve contre la superstition fataliste, alors vous oserez refuser audience à une pensée, comme on refuse audience à quelqu’un. Il vous semblera que c’est plus difficile

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