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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/222

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

remarquable que la foi, sérieusement considérée, ne consiste absolument qu’à ne rien croire de ce qui veut créance, comme flatteurs, comme puissance, comme argent, comme savoir. Dieu est la négation de ces valeurs d’apparat. Dieu c’est la vraie puissance ; et cette vraie puissance c’est la foi. Si la foi n’était pas libre, si Dieu pouvait la contraindre, la religion serait le pire esclavage. Si Dieu se montrait en roi des rois, il n’aurait certes que des courtisans ; la religion se sauve en ajournant cette mortelle cérémonie.

Ici se meut la théologie réelle, en son geste familier qui ne cesse de ressusciter Lazare. C’est par cette suite d’idées que l’on peut comprendre que la religion se perd par l’évidence. Il est bon, il est très précieux que la religion soit incertaine. Car la perfection est douée d’une prodigieuse puissance pour attirer notre adhésion ; nous passons alors notre temps à nous convertir, bien vainement. Au lieu que le grand pari, si l’on peut dire, nous tient au bord du néant. À nous de frapper sur l’être !

Toutefois, par ce jugement même qui surmonte la partie vaine de la religion, il me semble que l’idée de l’âme ne paraît pas mal, car l’intime liberté est alors au-dessus de toutes les valeurs ; mais d’une façon singulière ; non pas à la manière d’un être existant, si je puis dire, plutôt à la manière d’une foi qui ne peut reposer que sur elle-même. Ce sentiment sans aucun orgueil, Descartes l’a nommé générosité ; on ne peut mieux dire. Descartes est plus près de chacun qu’on ne croit ; c’est un homme. Et, selon mon opinion, tout homme a ses moments cartésiens.

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