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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/224

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LXIII

DEUX RELIGIONS

Il y a toujours eu deux religions, dont l’une nous tire vers le dehors et les pratiques, et l’autre, au contraire, nous ramène à quelque chose d’indomptable en nous-mêmes. Socrate savait très bien quand les dieux étaient injustes, et il le disait ; mais il disait bien pis, ou bien mieux : « Ce n’est point parce que les dieux le veulent que le juste est juste ; mais c’est parce que le juste est juste que les dieux le veulent ». C’était soumettre les dieux à Socrate pensant ; ou plutôt c’était soumettre les dieux à Dieu. Mais ce mouvement n’a point de fin ; car un homme qui réfléchit ne cesse d’en appeler de lui-même moins pur à lui-même plus pur, de lui-même moins libre à lui-même plus libre. Si l’on croit à l’esprit, on ne croit pas tant aux autres choses. La foi religieuse est l’âme de l’incrédulité.

Ce qui fait que je ne crois pas, c’est toujours que je crois. Celui qui est sceptique mollement dit vainement qu’il ne croit rien ; s’il ne se croit pas lui-même, s’il ne croit pas qu’il est capable de débrouiller, de critiquer, de juger, s’il se voit gouverné par l’usage et par la coutume, enfin par les plis et cicatrices du corps, alors il dit bien vainement qu’il ne croit rien, car au contraire il croit tout. Sur l’homme qui

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