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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/225

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DEUX RELIGIONS

se dit que rien n’est plus vrai qu’autre chose, toutes les apparences ont la même prise. Finalement ses désirs et ses intérêts le mènent ; et cela ferait un vieil enfant tout à fait capricieux. Mais la société est un système admirable de récompenses et de mépris. La cérémonie et l’institution ont bientôt rassemblé et orienté ces hommes légers ; comme des bouchons flottants qui descendraient avec le fleuve vers la mer, et qui le sauraient, les hommes légers s’aperçoivent qu’ils vont quelque part. Ils font même des livres de ce voyage de bouchons flottants. Je les vois dogmatiques, et même religieux dans le sens extérieur du mot. Ils croient, tout au rebours de Socrate, que le juste, c’est ce que les dieux veulent ; par exemple la guerre, dès qu’il est visible que les dieux la veulent ; ou leur propre fortune, dès qu’il est visible que les dieux la veulent. Telle est la partie de résignation et la religion du jésuite. Et cette partie de religion n’est jamais tout à fait abolie dans un homme ; car on ne peut juger tout, et il y a des événements, des situations, des courants dont il faut bien prendre son parti. C’est s’adapter ; c’est croire enfin que ce qui réussit est vrai et juste. Contre quoi l’éternel Socrate, qui n’est peut-être jamais tout à fait mort, même dans un conseiller d’État, ne cesse jamais de s’élever d’après l’oracle intérieur, d’après l’oracle secret ; lumière vacillante souvent, parfois éclatante. Par exemple devant une friponnerie bien claire, l’homme qui prétend n’être sûr de rien s’arrête tout net, disant : « Ce sont des choses que je ne fais point ». Non, quand le ciel et la terre

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