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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/246

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LXX

L’ART DE PERSUADER

L’art de persuader ne repose pas premièrement sur les preuves. C’est naïveté d’arriver avec de fortes preuves pour se faire ouvrir la citadelle ; c’est faire sommation à coups de canon. L’esprit qui se voit ainsi assiégé coupe d’abord les ponts. C’est pourquoi le plaisir de conversation suppose que l’on ne dise que des choses connues et approuvées, en leur donnant, si on peut, un air de nouveauté. Ce jeu, que l’on nomme l’esprit, vise à intéresser sans inquiéter. Mais celui qui veut instruire hors de lieu, on le nomme pédant ; pédant c’est pédagogue ; il est remarquable que ce nom de pédant, qui désigne exactement la fonction d’enseigner, soit toujours mal pris dans le monde, et avec un sens de reproche. Cela avertit qu’il est périlleux d’enseigner hors de l’école. Mais comment faire, si l’on vise à changer les opinions de quelqu’un ?

La règle des règles est que vous commenciez en partant de son opinion à lui, non de la vôtre. Les écrivains ne procèdent jamais autrement. Et pourtant l’écrivain a cet avantage qu’il ne se montre point, qu’il ne guette point, qu’il n’est pas embusqué pour prendre avantage d’une remarque, ou d’un assentiment donné à l’étourdie. On se défie moins

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