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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/291

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LA CLEF DES SONGES

l’on sauve ses pensées. Descartes disait qu’il était parvenu à n’avoir plus que des rêves raisonnables. Après avoir admiré, j’ai fini par comprendre que ce n’est peut-être pas si difficile qu’il semble. Car le fait d’avoir un rêve est par lui-même inconsistant ; ce qui nuit, dans un perfide rêve, c’est qu’on le recompose avec une sorte de complaisance ; on lui prête pensée. Et me voilà à l’idée difficile que je cherchais, c’est qu’il ne faut point prêter pensée à une croyance. Il faut la laisser fumeuse et absurde, comme elle est. Ce pas fait, j’arrive aisément à tout croire, ce qui est ne rien croire. Par exemple qu’ils ont cru voir Jésus ressuscité, et même que j’aurais cru voir la même chose si j’avais été leur compagnon. Maintenant, quelles pensées j’aurais formé là-dessus, c’est à examiner ; et que ces pensées eussent été toutes fausses, c’est ce qui ne va pas de soi. Car enfin Jésus n’était pas mort ; et cette proposition s’entend en beaucoup de sens, parmi lesquels j’en vois plus d’un qui est raisonnable. Et toujours est-il que cette vision était vraie à ce moment-là pour eux et en eux, par leurs humeurs, par leurs mouvements, par leurs paroles, enfin par la mécanique de leur corps, sans compter les jeux de lumière et autres choses. Telle est la clef des songes.

Il est très difficile de croire ; je veux dire maintenant croire qu’on peut jurer contre une croyance ou une vision. Car l’homme faible dira : « Tout dépend de la force persuasive qui est dans la vision elle-même, et dans les mouvements de sentiment qui l’accompagnent. J’examine en des cas, je fais comme

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