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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/292

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

vous ; en d’autres je ne puis examiner. Et ne pensez-vous pas que tout ce que je croirai et ne croirai pas est fatalement tel par les forces du monde et par le tourbillon de ma propre nature ? » Et nous y voilà. Il est très difficile de croire que la volonté peut quelque chose ; et c’est comme si je disais qu’il est difficile de vouloir. Car enfin vouloir sans croire que l’on peut vouloir, c’est se moquer. Ainsi cette police de l’esprit par l’esprit, que je proposais, suppose un grand serment, et dans le vide. Car, au moment où on fait le serment de surmonter l’imagination, toutes les preuves sont contre, par l’imagination même. Je jure de n’être pas malheureux, mais dans le même temps je crois, par le mouvement des passions, que je ne puis m’empêcher de l’être. Et puis-je m’empêcher, quand j’ai le vertige, de croire que je vais tomber ? Je me jure pourtant de rester maître de mes actions. Pardonne les difficultés, lecteur : ce n’est pas moi qui les invente. Chacun de nous exerce courageusement une foi volontaire contre des croyances involontaires ; et il n’y a que dans le fou que les croyances involontaires conduisent tout, et même les pensées. Cette seule remarque montre qu’on n’a pas fini d’errer et de flotter en ces controverses sur la foi et sur la croyance, et que chacun de nous doit conduire sa barque entre le Jésuite et le Janséniste, tous deux éternels, et même, par la distinction entre la foi et la croyance, ressuscités chacun dans sa gloire.

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