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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/293

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LXXXV

SOCRATE

La libre pensée est invincible ; l’exemple de Socrate le prouve assez. On n’a pu que le tuer. Que voulez-vous faire d’un homme qui annonce premièrement qu’il ne sait rien, et qu’il sait qu’il ne sait rien ? Que faire d’un homme qui se trouve autant qu’il peut où l’on enseigne, et qui interroge, et qui passe les réponses au crible, sans jamais être satisfait ? Vous lui direz qu’il a l’esprit lent ; il répondra qu’il ne le sait que trop. Vous lui direz qu’il voit des difficultés où personne n’en voit. « C’est tant mieux, dira-t-il, pour ceux qui comprennent si vite. Mais est-ce une raison pour que moi je me rende avant d’avoir compris ? »

Là-dessus quelque grand sophiste, ce qui veut dire orateur, juriste, savant, lui fera remontrance. « Qui donc es-tu, dira-t-il, pour te mêler à des discussions sur le droit, la justice, le bonheur, auxquelles tu te montres si peu préparé ? Ainsi un chétif esprit comme le tien ose se mettre en balance avec des doctrines formées par des siècles d’hommes éminents ? Tu veux juger de Dieu, de ce qu’il permet et défend, des mystères, des sacrifices, de la vertu, et choses semblables, quand tu te reconnais toi-même pour un homme tout à fait ignorant ! Et tu

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