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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/40

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

on peut, au contraire, y rechercher, par un préjugé volontaire, seulement les effets d’une structure. En d’autres termes je puis croire que la partie animale de mon être conserve des pensées, élabore des pensées, produit même des pensées ; ou bien je puis présupposer qu’elle ne conservera que structure et qu’elle ne produira que mouvement. Cette manière de voir paraîtra sévère à beaucoup, exactement comme de nier toute pensée dans un chat. Les hommes sauvages croient que tout est plein de dieux, c’est-à-dire de pensées. D’après ces vues on comprendra peut-être où va le progrès, et quelle discipline il suppose. Je veux m’en tenir à la pratique, et considérer seulement ce que c’est qu’un athlète, et comment il se rend maître de son corps. Ce n’est certes pas en laissant aller les muscles, ni en s’intéressant à ce qu’ils semblent vouloir. Cette autre méthode, c’est l’attention au pressentiment ; c’est la méthode des timides et des maladroits.

Selon la passion nous sommes maladroits. Qu’est-ce à dire ? Qu’en voulant faire un certain mouvement nous en faisons aussi plusieurs autres, comme ceux qui ne peuvent nouer une cravate sans serrer les dents. Le remède est d’acquérir par l’exercice l’indépendance des mouvements partiels, et l’égale préparation à tous les mouvements possibles, d’où souplesse, adresse, vitesse, efficacité. C’est ainsi que le pianiste, dès qu’il aura aperçu une suite de notes, suite nouvelle et imprévisible, l’exécutera aussitôt. Je suis persuadé que le gymnaste conçoit et exécute de même. Et si j’écris une lettre, il

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