Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
USAGE DE L’INSTINCT

importe aussi que tous les mots possibles soient placés, par l’exercice, dans un état d’indifférence ; et au contraire celui qui écrit péniblement revient toujours aux mêmes mots et aux mêmes tournures. Je dirai qu’il ne s’est point rendu maître de son propre animal, et qu’au contraire il en attend quelque oracle. On connaît la méthode du médium, d’écrire en demi-sommeil. C’est attendre de l’animal une grande pensée. Or les pensées obtenues par ce moyen sont au niveau de la niaiserie, comme on sait. Toutefois ce genre de culte n’est point laissé sans regret, ni sans nouveaux efforts, comme on sait aussi. Bien aisément les dieux reviennent.

On se plaît souvent à dire que le subconscient élabore nos connaissances et les mûrit. Je veux considérer seulement des effets très simples. Mes deux doigts les plus faibles sont comme liés ensemble ; l’un ne peut se plier sans que l’autre suive, ce qui alourdit le mouvement, sans compter les fausses notes. Je m’exerce à produire volontairement les deux mouvements séparés ; et souvent je n’obtiens que gaucherie et fatigue ; mais je m’aperçois qu’après une nuit de repos les deux doigts sont plus libres qu’ils n’étaient, jusqu’à faire un trille satisfaisant. Vais-je dire qu’ils ont compris ? Il est bien plus simple de supposer que certains muscles plus faibles ont pris force, effet qui ne peut être sensible que par un travail d’élimination et de nutrition, exactement par un sommeil. Je suppose que c’est par une maturation de ce genre que toute ma mécanique vivante s’adapte à mes ordres, c’est-à-

— 37 —