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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/46

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

dans les livres de diabolique sagesse. Mais croire, contre toutes ces preuves d’apparence, qu’il vaut mieux être sage et pauvre, voilà le croire propre à l’incrédule, voilà la force de l’incrédule. En sorte que celui qui croit que puissance et richesse, tout compte fait, valent moins que justice, je ne dirai jamais qu’il est crédule, attendu que ce qu’il croit est difficile à croire, et contre les passions, enfin suppose force et courage, et non point faiblesse. Jugez toute religion de ce biais ; vous comprendrez beaucoup de choses.

Vous comprendrez notamment les stoïciens qui mettaient la force de l’esprit, ce qu’ils nommaient le ton, au rang des premières valeurs intellectuelles. Ils ne pensaient point que l’on pût être sage à bon marché, et ils concluaient que la manière de connaître importe beaucoup pour le vrai ; en sorte qu’atteindre le vrai sans peine, c’est le manquer. Partant de là, ils se plaisaient à dire que le sage ne se trompe jamais ; car, du moment qu’il ne tombe point dans la faiblesse d’esprit, il sait ce qu’il doit savoir et n’a rien à envier aux Dieux. Ces célèbres paradoxes ont illuminé l’antiquité, justement dans le temps où le sage était mis en demeure de reconnaître l’insuffisance de sa propre sagesse.