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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/59

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LA GÉNÉROSITÉ

le jeu, et se réjouissent s’ils la sauvent ; mais d’abord ils l’exposent, ils la risquent, selon un étrange plaisir comme serait celui d’une ivresse lucide. Et ce héros est en tous ; il n’y a qu’à observer une discussion, même de grammaire, pour entendre gronder l’orage humain. Dépense folle. Et pourquoi ? L’intérêt commanderait de ne jamais contredire, afin de ne jamais s’irriter ; car tous les médecins vous diront que cela n’est point bon pour la santé. Aussi les vrais égoïstes sont admirablement froids. Mais combien y en a-t-il ? En avez-vous vu ?

Tout amour est prodigue ; prodigue d’enthousiasmes et d’indignations. La haine, si intimement mêlée à l’amour qu’à peine l’en peut-on distinguer dans les paroxysmes, la haine mesure encore moins ses ressources et ses dépenses. La méthode de cette tempête tournoyante qu’est l’homme est toujours, comme on dit, de brûler une ville pour cuire un œuf. On dit bien que la guerre a réglé quelques petites questions ; mais cette manière de régler est folle ; les dépenses et les suites funestes ne sont même pas dénombrables. Et toujours est-il que ce n’était pas l’intérêt qui poussait le fantassin à l’assaut. Même les chefs, qui risquaient moins, ils participaient pourtant à une sorte de fureur de jeu ; ils risquaient plutôt qu’ils ne calculaient.

Et, dans les jeux de la paix, j’aperçois encore des camps, des enjeux arbitraires, des buts qui ne sont désirables que parce que l’adversaire les garde, enfin la course, l’emportement, les cris, comme au ballon. Les novateurs ne savent pas bien où ils

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