Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XVIII

INSOMNIE

Il vous est arrivé plus d’une fois, dans la nuit, de mettre le pied sur une marche d’escalier imaginaire : il en résulte comme une courte chute, sans réel dommage, mais qui produit dans tout le corps une agitation incroyable. En tous ces mouvements déréglés nous nous sentons repris par la pesanteur, tyran infatigable. Nos travaux musculaires et nos précautions sont principalement contre elle, et depuis le jeune âge. Point de répit ni de tricherie. L’homme, en sa station debout, est un étonnant équilibriste ; il ne peut pas allonger le bras s’il ne penche son corps de l’autre côté. Chaque pas est une sorte de chute en avant, aussitôt arrêtée. On peut s’étonner de voir que la peau n’est pas moins sensible sous les pieds qu’à l’intérieur des mains ; car les pieds n’ont rien à prendre, ni à palper. Mais je crois au contraire que la plante des pieds ne cesse pas un seul moment de palper le sol, et d’éprouver, par des déplacements de la pression, les moindres changements dans l’équilibre du corps entier. On peut imaginer une situation telle que les mains, les oreilles, le nez et les yeux n’envoient au gouvernement de notre corps aucun message d’importance ; il suffit que tout soit dans l’ordre accoutumé

— 63 —