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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/87

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XXIV

C’EST TOI QUI L’AS VOULU

L’ombre de Platon m’a parlé comme dans un songe : « Je t’ai assez dit que le monde de Dieu était juste et sans faute, par une infaillible manière de punir, qui n’est que l’accomplissement de nos volontés. Si ton poing frappe sur le marbre, le marbre frappe sur ton poing selon la même violence. Communément les ricochets du monde se font attendre, ou frappent de côté ; nos volontés aussi sont sinueuses ; l’ordinaire est qu’on les ignore dans le voisin, et qu’en soi-même on les oublie ; c’est ce qui fait que l’histoire humaine n’est pas facile à lire, et que presque tous les hommes accusent le destin. C’est pourquoi j’aime à dire que la même âme toujours recommence, et frappe encore le marbre de son poing nu. Comment ne pas rire quand le discoureur, au milieu même d’une province reconquise et toute chaude encore des batailles, crie au monde : « Nous l’avons reprise par la force, et nul jamais ne nous la reprendra ». Tous les vainqueurs ont pensé qu’après leur victoire la justice seule allait désormais régler les choses. Mais laissons les diseurs de vaines paroles. Tu as vu grandir et mourir un roi d’une autre trempe. Essaie d’en raisonner avant

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