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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/89

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C’EST TOI QUI L’AS VOULU

voulu faire ; et l’on sent bien par les effets qu’il y a quelque chose d’injuste dans cette justice ; mais tant qu’on ne le sait pas autrement que par les effets, le succès aveugle. J’ai nommé Tard-instruits et Mal-instruits ceux qui n’ont pas d’abord rencontré un meilleur maître que la nécessité. Suis donc par la pensée l’homme qui se récompense de vertu par puissance. Comment ne choisirait-il pas puissance ? Mais puissance méritée c’est force. Telle fut donc sa loi. Et nécessairement il jugeait des devoirs et des droits selon la loi de fer, qui est au fond celle des métiers. On voit dans cet exemple même qu’il y a de la sobriété, de la probité, du courage dans une vie ainsi conduite ; mais la vraie justice en est absente. Nous le voyons donc annoncer guerre et encore guerre, et disons même qu’il y exposait et y offrait le plus précieux de sa vie, ce qui toujours sauvera l’injustice, du moins tant que l’opinion, en sa caverne, prendra pour le pur courage un mélange où la colère domine. Et certes notre homme n’était point au niveau de ces enivrés qui frappent fort et gémissent des coups qu’ils reçoivent. Il y a encore des degrés dans l’opinion ; l’esprit d’ordre et la suite dans le travail font qu’il y a, même dans la caverne, des hommes plus clairvoyants que d’autres. Et sans doute celui-là sut voir, en de cruelles ripostes du monde, les suites de la loi qu’il s’était donnée. Toutefois l’épreuve n’instruit que celui qui pense selon la justice. Heureux quand on peut reconnaître ce rebondissement de la faute, même dans le tumulte humain. Car c’est la nature alors qui fait écho à la justice. Admire une

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