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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/143

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tant qu’il n’a pas mis la paix entre eux d’abord, puis entre eux et lui, pas une autre pensée ne pourra lui venir que de besoin et de colère.

Cette sorte de fable paraît dans La République quand se fait le parallèle fameux de l’homme et de l’État. Mais le point difficile de cette analyse était de longtemps éclairé par la distinction, autrefois classique, du désir et de la colère. Un exemple plein de sens et de résonance explique à la fois d’étranges désirs, plus forts que la raison, et une belle colère, alliée de la raison. Un homme aperçut de loin, au bas des remparts, des corps de suppliciés. Il ne put résister au désir de les voir de plus près, désir fait de peur et d’horreur, désir lâche, non pas plus lâche que les autres. Alors, de colère contre lui-même, il dit : « Allez, mes yeux, régalez-vous de ce beau spectacle ! » On reconnaît en cet exemple cet air de négligence par lequel Platon recherche et obtient une attention de choix. Car on s’étonne, et l’on passe, comme aux cadavres, mais on n’oublie point. Platon veut seulement alors montrer que l’opposi-