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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/160

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les trois vies, de désir, de puissance, et de savoir, puisse en juger sainement ; car il connaît les trois. La tête jamais ne dévore le reste. Il n’ignore point le plaisir du ventre ; chaque jour il y cède ; mais il s’en retire et le juge. Il n’ignore point le plaisir du cœur ; à chaque minute il y est pris et il s’en déprend. Il les nomme l’un et l’autre, il les ordonne, il les sauve ; sa justice propre consiste en cela. C’est donc lui qui est juge. Les désirs et les colères, quelquefois, lassés de rivaliser, espèrent quelque ordre meilleur où le juste serait roi. C’est ainsi que l’âme battue par le malheur se représente une autre vie, quelque Minos, Eaque, ou Rhadamanthe, qui lui fera leçon, lui expliquant ses malheurs par l’idée, et y ajoutant encore un peu de souffrance pour la détourner de goûter toujours au même plat. Il y aurait donc quelque espoir pour tous ?

Il n’y a point d’espoir. Le sage nous laisse à nous. Dieu nous laisse à nous. Ni l’un ni l’autre ne nous font la grâce de nous punir. Dieu, comme signifie le Timée, n’est qu’ordre et sagesse en ces mouvements profondé-