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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/161

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ment justes, inhumainement justes, qui achèvent nos actions. « Juste et parfaite est la roue », comme dit l’autre. Les effets répondent aux causes, et chacun a justement ce qu’il voulait, quoique souvent il ne le reconnaisse guère. Le violent a violence, et se plaint. Mais qu’espérait-il ? Il faut enfin juger ces folles espérances et ces folles craintes, qui ajournent la justice. Si loin que nous puissions vivre, ce sera comme maintenant.

Le mouvement naturel de l’imagination poétique est de feindre des temps meilleurs, soit derrière nous, et dont, par notre faute, nous n’avons pas su jouir, soit en avant de nous, où nous apercevons une sorte de récompense. Un certain balancement est toujours la loi de l’imagination, puisqu’en tous ses mouvements la vie imite les retours et les compensations célestes. Dans l’épreuve on pense au bonheur ; au contraire, le bonheur craint, et invente des catastrophes. De toute façon, c’est une autre vie que l’on pense ainsi, d’autres situations, d’autres chances. On n’ose guère avouer que l’on voudrait les plaisirs du vice en récompense de la vertu,