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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/163

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sera point changée si vite. Car on voit que la perte ne guérit pas le joueur, ni la déception l’ambitieux. D’où ces durées immenses, ce crédit de mille ans et encore de mille ans que l’on accorde à ce progrès providentiel, dont la politique est comme l’image. Ces visions de terre promise flottent entre ciel et terre, comme si la poésie avait charge d’orner nos vies médiocres, ajournant et promettant, promettant toujours qu’opinion vaudra science. Certes Platon a déployé cette poésie, comme en sacrifice à cette vie inférieure que nous ne pouvons pas couper de nous, et qu’il faut bien amuser. Remarquons qu’il l’a déployée toute et jusqu’à décourager les imitateurs, peut-être pour user en nous et épuiser ce plaisir facile de multiplier les temps. Mais il ne faut pas oublier aussi que Platon ne voulait pas aimer les poètes. Il est dur de voir qu’Homère est chassé deux fois de La République ; avec honneur, avec regret, mais chassé. On voudrait toujours, et c’est le lot de l’homme, gagner sur le sévère entendement, et s’arranger des preuves d’opinion, plus clémentes. Mais voici une grande et terrible