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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/172

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nier ; car, si tout passait, qui saurait que tout passe ? Ainsi ton amour change et passe, mais seulement par l’amour qui ne passe point ; et, par le courage qui ne passe point, passe et devient le courage ; c’est pourquoi encore une fois nos innombrables vies sont éternellement à nous. Cette grande idée a été développée par la révolution chrétienne, et cent fois reprise, jusqu’au mot de Spinoza l’immobile : « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels ». Mais toujours nous voulons chercher l’éternel ailleurs qu’ici ; toujours nous tournons le regard de l’esprit vers quelque autre chose que la présente situation et la présente apparence ; ou bien nous attendons de mourir, comme si tout instant n’était pas mourir et revivre. À chaque instant une vie neuve nous est offerte. Aujourd’hui, maintenant, tout de suite, c’est notre seule prise. Ce que je ferai demain, je ne puis le savoir, parce que je ne suis pas à demain. Ce que je puis faire de mieux pour demain, c’est d’être sage, tempérant, courageux, juste, aujourd’hui. Et le passé non plus n’est pas à moi. Même,