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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/30

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vent courir avec leur objet. Ce vrai, que tu fixes et arrêtes, est faux par cela seul que tu le fixes et l’arrêtes. Le temps d’ouvrir la bouche, déjà ce que tu vas dire, si scrupuleusement que tu le dises, ne correspond plus à rien. Reste donc bouche ouverte ; ou bien dis par précaution : « Pas plus ceci que cela ; d’aucune manière ; nul moyen ». Voilà la pensée droite ; et la pensée droite, c’est qu’il n’y a pas de pensée droite.

Très bien. Mais nous vivons. Les cités se forment par tous genres de commerce et d’entreprise ; elles demandent des lois à Protagoras et elles s’en trouvent bien. Que signifie ? C’est qu’il y a des opinions qui réussissent. Non qu’elles soient vraies. Comment voulez-vous qu’elles soient vraies ? Mais elles font que l’on dure, que l’on s’accroît, que l’on triomphe, et que Protagoras survit en des statues honorées. Et comment Protagoras a-t-il saisi et retenu ces opinions salutaires ? C’est qu’au lieu de chercher le vrai, et fort de ceci qu’il est fou de chercher le vrai, il a observé seulement les hommes et les peuples en leur histoire, remarquant les effets,