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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/31

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mais sans vains efforts pour les expliquer. Les opinions estimées ne sont que d’avantageuses coutumes. Et que vous importe qu’elles soient vraies ou fausses ? Toutefois je devine, pauvres gens, que cela vous importe ; et soit. L’homme d’État a pour fonction propre de prouver que ces opinions utiles sont vraies. Telle est la fin de l’éloquence, qui ainsi trompe les hommes pour leur bien. Idée qui retentit en nous tous, par mille souvenirs qu’elle réveille, d’esclavage, d’indignation, de résignation. Pascal aussi a rebondi sur cette idée ; mais c’est qu’il en a eu peur. « Il ne faut point dire au peuple que les lois ne sont pas justes. » Et combien d’autres, avant ou après Pascal, ont eu occasion de se conseiller eux-mêmes, selon la même prudence : « Il ne faut pas dire au peuple qu’il est utile de croire à l’enfer ; il faut leur dire qu’il y a un enfer. » Et nous, imitant de même cette forme, et la rapprochant de nos propres soucis : « Il ne faut point dire au peuple qu’il n’y a point de guerres justes. » Qui n’a pas pensé cela, parmi ceux qui donnent des lois à leur patrie ?