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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/32

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Mais plutôt personne ne le pense ; personne ne s’ouvre à lui-même jusque là. Personne ne se le permet, dès qu’il fait métier de persuader. Comment persuader si tu ne crois pas ? Et, par une suite de ton beau système, n’est-il pas avantageux de croire soi-même ce qu’on veut prouver aux autres ? Ne vas-tu pas faire un grand serment à toi-même, de désormais penser comme vraies les opinion avantageuses ? Et, comme nous voyons dans nos guerres, s’il est avantageux de croire qu’on a raison, pourquoi le sophiste, qui sait faire croire cela, se priverait-il de le croire lui-même ? On ne trouve guère de ces politiques qui ont deux pensées, l’une pour le peuple et l’autre pour eux-mêmes. Bien plutôt sont-ils sincères à croire que ce qui leur est avantageux est vrai ; car quoi de plus sincère que l’ambition ? Aussi, ce que Protagoras ose dire ici, il ne l’a point pensé. Mais c’est Platon, en son dialogue avec son contraire qui est aussi lui-même, c’est Platon qui s’est délivré de honte ; c’est Platon qui a parlé vrai contre le vrai. Hé oui, cela même est vrai et irréfutable qui va contre