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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/81

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naître ces ombres, de les prévoir, de les annoncer. D’abord ils appelleront objets et monde véritable ces ombres, car ils ne connaissent rien d’autre. Et puis si quelques-uns, par une mémoire plus sensible, remarquent certains retours et certaines ressemblances, et ainsi annoncent ce qui va arriver, ils nomment sages et chefs ces hommes-là. Non sans disputes ; non sans méprises, puisqu’il suffira qu’un même objet soit tourné autrement devant la flamme pour que son ombre soit prise pour un nouvel être, comète, éclipse. D’où un grand tumulte en cette prison, des sortes de preuves, des maladroits et des habiles, une gloire et des acclamations ; enfin des hommes qui auront raison, étrange manière de dire, par le souvenir et les archives, comme on sait que les Égyptiens annonçaient les éclipses sans savoir ce que c’était qu’éclipse. Grand pouvoir, mais petit savoir. Il faut un long détour avant que l’on sache l’éclipse, par mouvements composés. Comprenez pourtant que, dans cette prison, et parmi ces hommes attachés par le cou, et incapables de tourner