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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/84

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encore moins ce que c’est que pensée. Toutefois les captifs ne formeront nullement cette science par leur expérience ; et la raison en est que leur expérience suffit, comme on dit que la géométrie empirique suffisait aux Égyptiens. Il faudra donc quelque événement d’esprit, quelque rupture de cette coutume, et l’idée étonnante de ne plus regarder les ombres, mais de regarder en soi. Telle est l’évasion.

Donc je délivre l’un d’eux ; je le traîne au grand jour. Il voit le feu ; il voit les objets dont les ombres étaient les ombres ; il voit tout l’univers réel, et le soleil même, père des feux et des ombres. Mais admirez. Il se bouche d’abord les yeux ; il crie qu’il ne voit plus rien ; il veut revenir en sa chère caverne, et retrouver ses chères vérités, et ce demi-jour qu’il nommait raison. Cependant je l’adoucis en ménageant ses yeux. Je lui fais voir les choses au crépuscule, ou bien dans le reflet des eaux, où les clartés sont moins offensantes. Et puis le voilà assez fort pour contempler les objets eux-mêmes, à la pleine lumière du soleil. Comme il a hâte de